L'estoria dal Drac

"L’estoria dal Drac"

Le conte du Drac



Il était une fois une famille très pauvre, le père, la mère, un petit garçon appelé Titounet, et sa petite sœur. Ils vivaient dans la forêt et le père était bûcheron, il coupait du bois toute la journée. Mais ils étaient si pauvres qu’ils n’avaient plus de quoi se nourrir eux et leurs enfants. Alors, un soir, lorsque les deux petits enfants furent couchés, les parents eurent une grave conversation.

- Nous sommes trop pauvres, déclara le père dans un sanglot, nous ne pouvons plus nourrir nos enfants. Il faut nous séparer d’eux. Demain, je les emmènerai dans la forêt avec moi, et puis je les y abandonnerai.
Et le père fondit en larmes, ainsi que la mère.

Et le lendemain, comme convenu, le père se mit en chemin avec ses deux enfants et ils s’enfoncèrent profondément dans la forêt. Lorsqu’ils furent très loin, le père dit :

- Bien, maintenant, moi, je vais rester ici pour couper du gros bois, et pendant ce temps, vous irez ramasser du petit bois dans les environs et en faire des fagots.

Ils se séparèrent et, tandis que Titounet et sa petite sœur commençaient à faire des fagots de petit bois, leur père s’éloigna discrètement et s’en retourna à la maison, certain que là où il les avait conduits, ses petits ne pourraient retrouver leur chemin.

Et en effet, lorsqu’après avoir bien travaillé, les deux enfants décidèrent de rejoindre leur père, ils eurent beau tourner et retourner, ils ne purent le retrouver. Ils cherchèrent encore et encore, en vain, cette forêt leur étant totalement inconnue. Et le soir arriva, puis la nuit. Ils étaient seuls et perdus au beau milieu de la forêt.
La petite fille commençait à pleurer et à avoir peur. Alors Titounet, plein de courage et d’idée, lui dit :

- Ne pleure pas, petite soeur, tout ira bien. Je vais monter sur ce grand mélèze et je vais tâcher de voir tout autour si j’aperçois la lumière d’une maison.

Titounet fit ainsi, il grimpa lestement tout en haut du grand mélèze, il se mit à scruter l’horizon dans la nuit, et finit par apercevoir dans le lointain une lumière fixe : sans doute une habitation. Il s’empressa de rassurer sa sœur en lui criant du haut de l’arbre :

- Nous sommes sauvés, petite sœur, j’aperçois une lumière, au loin, il y a une maison !

Le garçonnet, autant ingénieux qu’intrépide, jeta alors sa casquette du haut de l’arbre en direction de la lumière. Une fois redescendu, il prit sa sœur par la main et marcha vers sa casquette qui devait lui donner la direction à suivre. Heureusement pour les deux pauvres enfants, la nuit n’était pas trop obscure et un ciel étoilé ainsi qu’un beau croissant de lune venait alléger leur triste sort et les accompagner dans leur marche nocturne.

Les deux enfants marchèrent ainsi un long temps à travers bois, et Titounet s’efforçait de maintenir la direction. Et en effet ils arrivèrent devant une maison isolée dont la fenêtre était largement éclairée. Ils s’avancèrent donc et Titounet frappa vivement à la porte qui s’ouvrit bientôt, laissant apparaître une sorte de bonne femme dont on distinguait mal les traits dans l’obscurité de la porte. Titounet lui présenta sans hésiter sa demande :

- Bonsoir, bonne dame. Nous sommes deux pauvres petits enfants égarés. Nous avons perdu nos parents, nous ne savons retrouver notre chemin. S’il vous plaît, donnez-nous l’hospitalité.

- Pauvres enfants ! s’écria la bonne femme. Quelle infortune ! Vous ne savez pas à quelle porte vous frappez ! C’est ici la maison du Drac ! Et le Drac, (vous ne le savez donc pas ?) il dévore les enfants, il en est terriblement gourmand ! Ne restez pas ici, fuyez vite, fuyez !

- Mais, reprit Titounet suppliant, où voulez-vous que nous allions en pleine nuit, bonne dame, nous allons complètement nous perdre et mourir ! Hébergez-nous pour la nuit !

- Mais vous êtes fous, poursuivit la femme du Drac, ne savez-vous pas que si le Drac vous trouve lorsqu’il rentrera, il vous dévorera aussitôt ! Sauvez-vous tant qu’il en est encore temps !

Mais Titounet s’obstina :

- Par pitié, cachez-nous, cachez-nous ! Sinon nous sommes vraiment perdus, ce sont les loups qui nous dévoreront, deux pauvres enfants comme nous, seuls et égarés dans la nuit ! Par pitié !

A la fin, attendrie, car elle n’était pas cruelle comme son mari, la Draquesse céda :

- Bien, ma foi, nous verrons bien, je vais essayer de vous cacher au milieu enfants du Drac, mais je vous aurai prévenus, s’il vous découvre, il vous dévore !

La femme du Drac fit entrer Titounet et sa sœur et les conduisit jusqu’à un grand lit dans le fond sombre de la pièce, où dormaient les sept enfants du Drac. Elle ouvrit les couvertures et leur ordonna de se coucher là, au beau milieu de ses enfants, puis en les recouvrant complètement, elle leur recommanda de surtout se tenir bien tranquilles lorsque le Drac rentrerait.

Et le Drac ne tarda pas à rentrer. Après un moment, en effet, la porte s’ouvrit brusquement dans un grand fracas et le Drac se dressa là, à l’entrée de la maison, il s’arrêta net et renifla à grands coups de narines, puis de sa grosse voix tonitruante il clama:

- Se ni’a, se ni’a, de ca’ de cristià ! (Mais il y a de la chair humaine ici ! (cristià signifie chrétien, donc humain, par image))

- Mais non ! Mais non ! Que dis-tu là ? Pourquoi voudrais-tu qu’il y en ait ? répondit la femme du Drac .

- Se ni’a ! (Il y en a !) insista le Drac de sa voix forte.

- Non, vraiment, il n’y a pas de chair humaine, non, je le sais bien ! tenta de le convaincre la Draquesse.

- Je le sens, moi, et là-dessus mon nez ne peut me tromper ! Dis-moi où tu as caché cette viande !

- Que dis-tu là ? Je n’ai rien caché, je t’assure !

- Ah ! Je vois bien que tu me mens, il y a de la chair humaine ici et tu me l’as cachée, mais je saurai bien la trouver !

Alors le Drac très en colère et affamé à l’idée de ce mets favori, se mit à fouiller partout, à tout retourner dans la maison : il regarda sous la table, dans les grands tiroirs, dans la cheminée, dans l’armoire, sous l’armoire, et puis il s’approcha soudain du grand lit où dormaient ses enfants et alors, d’un geste brusque, il souleva les couvertures et vit, au milieu de ses petits, Titounet et sa sœur, allongés immobiles et assez terrifiés aussi.

- Ah ! La voilà, la voilà quand même, ma chair humaine ! hurla le Drac explosant de joie et bavant d’envie. Je l’avais bien dit ! Voilà où elle se cachait ! Oh ! Mais ils sont deux, en plus ! Je vais me régaler ! Sortez un peu de là, que je vous examine, venez à la lumière, que je vous voie mieux !

Titounet et sa petite soeur sortent donc du lit et s'avancent un peu craintifs vers la lumière de la pièce. Le Drac les examine le regard sombre. Il se saisit d'abord de la fillette :

- Oh ! Mais que vois-je là, mais c'est une toute petite fille ! Avant qu'elle soit bonne à manger, il faudra du temps, beaucoup de temps. Mais en attendant, petite, tu aideras la Draquesse à la maison, tu feras le ménage et tout ce qu'elle te demandera.

Ensuite le Drac se saisit de Titounet, il le mit face à lui, le tourna dans tous les sens en tâtant ses bras et ses jambes, puis il s'écria :

- Toi, tu es un peu plus grand que ta soeur, bien sûr, mais alors, comme tu es maigre ! Il n'y aurait pas grand-chose à manger si je te croquais le maintenant ! Il va falloir que je t'engraisse un peu d'abord. Je vais t’enfermer dans un tonneau et la Draquesse te nourrira copieusement.

Et c'est bien ce que fit le Drac : il prit un tonneau, y mit Titounet, referma le couvercle et expliqua :

- Quand je viendrai te voir pour me rendre compte comment tu grossis, tu me montreras ton petit doigt par le petit trou qui est là en bas du tonneau.

Et bientôt la Draquesse commença à apporter de la nourriture en abondance à Titounet qui, de ce point de vue, était bien content enfin de pouvoir manger à sa faim. Et le Drac vint le voir au bout d'une semaine. Il s'approcha du tonneau et lui dit :

- Titounet, Titounet, montre-moi ton petit doigt afin que je voie s'il a déjà bien grossi (d’une voix chantante : Titouné, Titouné, fai me veire lou dénoù s’és jà groussé ! (« denoù », diminutif de doigt : dé ; « groussé », un petit peu gros, diminutif de « gros »).

Et Titounet obéit ; il passa son petit doigt dans le trou percé au fond du tonneau. Le Drac le tâta et s’écria :

- Comme il est maigre, ce petit doigt ! Il n’y a que la peau et les os : il faut continuer à manger.

La Draquesse continua de lui apporter de la bonne nourriture, Titounet se régala et, au bout d'une semaine, le Drac revint le voir :

- Titounet, Titounet, montre-moi ton petit doigt afin que je voie s'il a déjà bien grossi !

Titounet lui montra son doigt qui était encore bien maigre, le Drac le tâta et conclut :

- Ce petit doigt est trop maigre, il faut encore manger !

Et cela continua ainsi plusieurs semaines, mais à ce régime, Titounet commençait à se remplumer, il n'était plus le petit garçon maigrichon qui était arrivé chez le Drac quelque temps auparavant, il commençait à devenir grassouillet, et il s'en rendait bien compte. Titounet se dit : « si je lui montre mon doigt, c'est sûr, cette fois il me mange ! »

Alors en fouillant un peu au fond de son tonneau, Titounet trouva un gros clou et lorsque le Drac vint à nouveau lui rendre visite et l'interrogea comme d'habitude : « Titounet, Titounet, montre-moi ton petit doigt afin que je voie s'il a déjà bien grossi ! » le petit garçon passa son clou par le trou du tonneau, le Drac le tâta et il s'écria :

- Oh ! Mais qu'il est maigre, ce doigt ! On ne sent que l'os ! Il faut manger et encore manger !

Titounet était bien content d'avoir dupé le Drac, les jours passèrent, il mangeait bien, mais en jouant avec son clou, il finit par le perdre. Lorsque Titounet se rendit compte qu'il n'avait plus le clou, il fut pris d'inquiétude en pensant à la prochaine fois où le Drac reviendrait lui demander de tâter son doigt, et puis il finit par attraper un rat qui s'était aventuré dans son tonneau. Justement, le Drac arrivait :

- Titounet, Titounet, montre-moi ton petit doigt afin que je voie s'il a déjà bien grossi !

Alors Titounet brandit par le trou du tonneau la queue du rat ! Le Drac la tâta et s'écria à nouveau, comme d'habitude :

- Mais ce doigt est encore tout maigre ! Tu dois encore manger, manger, manger !

Encore une fois, Titounet s'en était bien tiré. Mais le rat fila et Titounet n'eut rien d'autre que son petit doigt bien grassouillet à montrer par le petit trou au Drac lorsqu'il revint lui demander :

- Titounet, Titounet, montre-moi ton petit doigt afin que je voie s'il a déjà bien grossi !

Titounet dut alors passer son petit doigt grassouillet par le trou du tonneau et le Drac le tâta. Mais cette fois, il s’exclama de sa grosse voix en exultant de joie :

- Eh bien, maintenant, ça y est, tu es gras à point, et je vais pouvoir me régaler ! Je vais allumer un gros feu et mettre de l'eau à bouillir dans une grande marmite pour te faire cuire. Mais d'abord, nous allons préparer du bois pour le feu.

Le Drac fit sortir Titounet de son tonneau et l'emmena avec lui au tas de bois derrière la maison. Le Drac se mit à fendre d'énormes bûches à l'aide d'un coin de bois et d'une masse également en bois. Et le Drac frappait à toute force, il donnait de grands coups de masse sur le coin en poussant de grands soufflements, le bois était dur et il peinait pour le faire éclater. C'est alors que Titounet lui dit avec malice :

- Tu sais, mon père est très fort, il sait y faire pour fendre le bois, il n’a pas besoin de hache, lui. Je vais t’expliquer comment il s’y prend : quand il a planté son coin dans la bûche, il enfonce ses deux mains jointes dans la fente, puis il les écarte d'un coup et la bûche s’ouvre aussitôt. Il est vraiment fort, mon père.

Le Drac, un peu naïf et ne voulant pas perdre la face devant un gamin, considéra devant lui la bûche qu'il avait entamée : le gros coin fiché dans le bois avait commencé à l'ouvrir. Le Drac posa alors la masse et enfonça ses deux mains jointes dans la fente... Mais à ce moment-là, Titounet saisit prestement la hache et d'un coup vif et précis fit sauter le coin ; la bûche se referma violemment, emprisonnant les mains du Drac qui se mit à hurler de sa voix tonitruante :

- Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ça fait mal ! Comme j'ai mal ! Cours vite demander à la Draquesse qu’elle te donne la masse la plus grosse et le coin le plus pointu ! Vite !

Titounet courut donc à la maison, se précipita vers la Draquesse et lui dit d'une voix pressante :

- Le Drac demande que vous lui donniez d'urgence la bourse la plus grosse et le cheval le plus rapide !

La Draquesse obéit donc à ses paroles et donna à Titounet ce qu'il demandait. Titounet s’empara de la pesante bourse gorgée de pièces d'or, grimpa à cheval, fit monter sa petite soeur derrière lui, et s'élança, laissant le Drac les mains dans le bois.

Le Drac finit par se libérer les mains, il se précipita à la maison et apprit la supercherie de Titounet et le vol de l'or. Furieux, le Drac se lança à la poursuite des enfants, sur un cheval moins rapide évidemment. Entre-temps Titounet filait à vive allure avec sa sœur, mais il trouvait qu'à deux sur le cheval, avec en plus l'or, leur équipage était trop lourd et que le Drac pouvait les rattraper. Alors en passant au bord d'un pâturage où paissait un troupeau gardé par son berger, Titounet arrêta brusquement le cheval et, sans en descendre, interpella le berger en lui tendant une grosse poignée d’or qu’il avait puisée dans sa bourse :

- Berger, prends cet or en échange de ta plus grosse brebis, puis égorge-la, ouvre-lui le ventre et répands ses entrailles sur le sol. Ensuite, quand tu verras passer le Drac à cheval, tu lui diras que tu m'as vu, que je me suis arrêté et que pour aller plus vite, je me suis ouvert le ventre pour retirer mes boyaux et que je les ai laissés là par terre. Et Titounet s'élança sans attendre.

Peu de temps après le Drac, sur les traces des deux enfants, arrive à toute allure, aperçoit le berger auprès de son troupeau et l'interpelle :

- Berger as-tu vu un beau cheval très rapide portant un garçon et une petite fille ? Par où sont-ils allés ?
Et le berger lui répond :

- Oui, oui, je les ai vus, ils sont passés il y a peu. Le garçon, sans descendre de cheval, m'a demandé mon couteau et s'est ouvert le ventre puis il a sorti tous ses boyaux et les a jetés par terre tels que vous les voyez là. Et comme je lui demandais pourquoi il faisait cela, il m'a répondu que c'était pour aller plus vite…

Alors sans aucune hésitation, le Drac saisit son couteau, se tranche vivement le ventre, en tire ses boyaux, les jette par terre, et meurt.

Pendant ce temps-là, les deux enfants poursuivaient leur route et étaient déjà loin. Ils rentrèrent bientôt chez eux et retrouvèrent leurs parents qui étaient en pleurs, plongés dans une terrible souffrance de les avoir abandonnés. Mais ils explosèrent d’une joie immense en voyant leurs enfants de retour. Avec tout l’or que contenait la bourse, ils ne souffrirent plus jamais de la faim et de la misère, et ils vécurent heureux et ne se séparèrent plus.