Histoire : les origines

1) La légende

          Il y avait à Berre, village du Comté de Nice dans la vallée du Paillon ( l’histoire ne dit pas en quelle époque), trois jeunes gens indisciplinés, qui supportaient mal l’autorité parentale et réfractaires à tout bon conseil qui leur venait de leur famille ou de leur voisinage. Ils avaient déjà commis ensemble ou séparément plusieurs larcins à Berre même et dans les villages des environs. La police de l’époque avait été alertée. Nos trois héros étaient recherchés.

          Ils décidèrent alors ensemble de quitter Berre à la recherche d’un quartier assez éloigné où ils y puissent vivre en toute tranquillité sans avoir à être inquiétés par les sbires.

          Avec l’escorte de quelques écus qu’ils avaient pu de diverses manières soustraire à leurs parents, ils se mirent en voyage. Ils voyagèrent pendant plusieurs jours ou semaines sans aucun but fixe, mais dans la seule intention de s’éloigner de Berre où ils avaient des comptes à rendre.

          Après avoir parcouru la vallée dite de Lantosque, aujourd’hui la Vésubie, ils poursuivirent dans le val qui fut ensuite dénommé Mouliera, Molieras, Mollières, du provençal moula, lieu humide, aqueux, en raison des très nombreuses sources.

          Après s’être installés tant bien que mal en ce quartier qui était incontestablement le leur en vertu du droit du premier occupant, il était tout naturel qu’ils songeassent à se marier. Mais qui des villages voisins aurait consenti à donner sa fille à des bandits ?

          Ainsi, à l’image des premiers habitants de la Ville Eternelle, ils décidèrent de recourir au rapt pour se procurer une compagne. Les victimes, peut être plus ou moins consentantes, furent trois jeunes pastourelles des villages limitrophes, qui s’éloignaient de la ferme pour faire paître chèvres et moutons sur les flancs de la montagne. Les pères des jeunes filles, après avoir redouté bien tout autre malheur, découvrirent le lieu où elles étaient quasiment prisonnières. Avec grands renforts de parents et voisins, ils se présentèrent aux armes pour réclamer leur bien.

          Mais la guerre n’eut pas lieu. Les filles, qui entre temps étaient devenues amoureuses de leurs ravisseurs, s’interposèrent et les parents durent bien, bon gré mal gré, s’incliner devant le fait accompli et en gage d’amitié ils donnèrent en dot aux filles un couple d’animaux domestiques.

          C’est ainsi que ces trois jeunes ménages engendrèrent les trois grandes familles de Mollières : les Giuge, les Richier et les Graglia. ( Les Mario et les Puons, qui se sont établis surtout aux hameaux de l'Educh, la Liouma, et Pierre Blanche, sont censés être remontés de Saint Sauveur.)

          On raconte encore que les Graglia après quelques temps auraient voulu quitter les lieux, mais leur manque de confiance dans l’avenir fut puni dans leur descendance. En effet, il n’y eut jamais au village qu’une famille Graglia, exceptionnellement deux ou trois, mais pas pour longtemps, et cela par effet d’émigration ou manque de progéniture mâle.

          Cette histoire transmise oralement de père en fils est parvenue jusqu’à nous. Elle a été reproduite par Carlo Prandi, le curé-poète, dans son ouvrage sur Mollières intitulé Il villaggio non sanzionato. Malheureusement ce livre, après l’incendie de Mollières en 1944, s’est avéré introuvable.

          Le conte, disons, ne manque pas d’avoir un côté sympathique, voire poétique, mais a-t-il un fondement historique ?

          On l’a cru pendant longtemps, puisque l’un au moins des trois patronymes cités ci-dessus, Richier, existait à Berre. Mais des recherches relativement récentes ont établi que le plus ancien des Richier connus à Berre et répondant au nom bien Savoyard d’Amedeo, était né à Mollières vers l’an 1752, fils cadet de Lipau Lorenzo Richier et de Ludovica Bergondi (Bergondi étant un patronymique de Valdeblore). « Pour que la légende aye un fondement historique, écrit M. Lucien Richier, que la famille Richier se soit éteinte à Berre bien avant le XVIII° siècle, et puis reconstituée par ce Amedeo venu de Mollières.

          Et pourtant ! Comment se fait-il que les gens de Mollières depuis des temps immémorables ont été et sont encore surnommés « les Berres » (lous Berrous) ? Sobriquet qu’ils ne considèrent pas offensant, tout comme leurs voisins de Saint-Sauveur se disent eux mêmes « les Blavets ».

          Il est toutefois un fait certain. Il y eut dans les temps passés des contacts assez suivis entre les habitants de Mollières et ceux de Berre, contacts dérivant de leur mode de vie. Les uns et les autres tiraient le principal de leur revenu de l’élevage des ovins et des caprins. Etant donné la différence de climat de ces deux localités par rapport à l’altitude, ceux de Berre donnaient en garde leurs troupeaux aux Molliérois pendant la belle saison où ils pouvaient profiter des riches alpages. En contrepartie, les Molliérois envoyaient hiberner à Berre, où l’hiver est beaucoup moins rude, la turgaïa . On appelle ainsi encore aujourd’hui la partie du troupeau composée de mâles et des femelles hors de l’état de gestation. Cette coutume était encore pratiquée à la fin du 19ème siècle.

          Il semble probable que les gens de Mollières aient mérité le surnom de « Berrous » en raison de cette pratique.

          A moins que la fondation de Mollières ait eu lieu bien avant 1610, ce qui est à peu près certain, et que ses fondateurs n’aient été que des Berrois de passage.


Extrait de la correspondance de Monsieur Lucien Richier :

"[…] Ce dont je suis absolument certain, puisque j’ai des papiers qui le prouvent, c’est que mon ancêtre Amedeo, né à Mollières vers 1752, est venu s’installer définitivement à Berre en 1772. Il s’y est marié le 9 novembre avec une demoiselle de Belvedere, et a acheté des terres. Il y est mort le 13 avril 1814, après avoir eu neuf enfants dont la plupart sont restés à Berre ou dans les environs, où ils ont fait souche.

          De plus, je n’ai trouvé aucune trace de Graglia et de Giuge à Berre entre 1610 et l’époque actuelle. […] Je dois donc conclure que la fondation de Mollières remonte à une période antérieure à 1610. Cependant vous trouveriez un peu surprenant que les branches Richier, Giuge et Graglia se soient toutes éteintes à Berre avant 1610 et qu’ensuite il a fallu un homme de Mollières qui revienne juste à point pour fonder à Berre une nouvelle branche Richier.

          […] J’ignore quand Gioan Lorenzo est mort, mais la mère Ludovica Bergonda est décédée vers 1787. En 1800, Giuseppe et Amedeo ont signé une convention par laquelle l’aîné remettait au cadet la somme de 350 lires en compensation de la part d’héritage que Amedeo n’avait pas eue."



2) Etymologie des patronymes

          Nous nous trouvons dans le pays Niçois et plus particulièrement dans l’arrière pays où jusqu’à une époque assez récente il n’y a pas eu, ou presque, d’immigration, en présence,

1°) de patronymiques d’origine incontestablement latine, par exemple : Ciais = Caius, Musso = Mucius, Puons = Pontius, Cornillon = diminutif de Cornelius.

2°) d’autres dérivant d’un métier ou profession, par exemple : Fournier = Boulanger, Bayle = Berger, Fabre = Maréchal ferrant, Teisseire = Tisserant.

3°) D’autres encore dérivant d’un sobriquet, comme : Ciamous = chamois, n'excluant pas, parfois, une note irrévérencieuse, par exemple : Bovas = gros bœuf, Forachon = petite fougasse, etc.


          Pour revenir à Mollières, prenons d’abord le patronyme Giuge, alias Juge selon qu’on a voulu reproduire le vocable nissart Juge - juge de paix ou juge du tribunal, selon l’orthographe italienne ou française : il signifierait que le chef de la dynastie aurait exercé la fonction de juge ou alors aurait mérité ce sobriquet en raison de sa tendance à émettre des jugements à propos de la conduite de ses voisins. Graglia quant à lui serait le nom que les Molliérois et autres donnent à la corneille (la "grailla"), oiseau au plumage noir de la grosseur d’un petit pigeon qui, en volées de plusieurs centaines, montent jusqu’aux plus hautes crêtes ou en descendent selon que le temps, dit-on, s’annonce bon ou mauvais, mais dont la chair, selon nous, n’est pas comestible ; mais ce patronyme signifie peut-être aussi : "originaire de Graglia" (village de la province de Biella dans le Piémont, au nord de Turin). Quant à Richier, alias Riquier d’après l’opinion du Richier que nous avons déjà cité, peut venir de la racine Germanique Rik introduite chez nous aux IVè et Vè siècles de notre ère, à travers des noms comme Alaric, Teodoric, Illiric ou chez les Arvernes Vercingétorix. Le premier à porter ce nom aurait donc été le chef d’une tribu, d’un clan.

          Nous avons dit que les Mario et les Puons ont remonté la Vallée de la Tinée et se sont établis dans les quartiers en aval du village, où les vrais Molliérois primitifs possédaient des terres, et en possèdent encore. A titre d’exemple, nous savons que Mario Bartoloméo, fils de Valère, a acheté au début du XIXè siècle des terres de Richier Legond et en même temps vendu une maison à Saint Sauveur ( Document des hoirs Mario Zacharie chez Mario Prosper à Grasse, Quartier Saint Jacques.). Mario serait la forme italienne de Marius. La branche Puons ( nous trouvons aux archives de Saint Sauveur : Pontius, Pontia, Pontii, Pontiae ( selon la déclinaison) s’est éteinte à Mollières bien avant la première guerre mondiale. Les deux derniers dont on a mémoire sont : Flaminio et Jean-Louis. Le premier n’a pas eu de descendance masculine, le second a bien eu un garçon prénommé Blaise, mais celui-ci est décédé très jeune, laissant un garçon et une fille qui ont suivi leur mère qui s’est remariée à Roubion.



3) Le village : origines et développement

          Depuis quelle époque existe Mollières en tant que village habité en permanence ?
A ce sujet aussi nous ne pouvons formuler que des suppositions. Ce dont on est absolument certain, c’est qu’ au début du XVIIè siècle le village existait, mais il est très probable que sa fondation remonte plus loin.

          L’église dans sa forme actuelle remonte à l’an 1647, mais l’on sait qu’il y avait avant à la même place une petite chapelle. La petite cloche qui, s’étant détachée de sa monture rongée par le temps, a été transportée à Saint Sauveur, de peur qu’elle ne devienne la proie des pillards, a été refondue et replacée depuis quelques années aux côtés de la grande cloche : cette petite cloche devait bien être celle de la chapelle primitive.

          Pour gagner de l’espace, on a creusé le flanc de la montagne, construit en avant un mur de soutènement en pierre sèche avec des blocs de dimension respectable pour retenir les déblais, créant ainsi l’actuelle place du village. Un autre mur a été construit en amont, mais celui-là en maçonnerie. C’est dans cet espace que l’on a construit l’église, en la séparant en amont et des deux côtés par un espace vide que les autochtones appellent « quintana » ou « tintana ».

          Etant donné l’importance des travaux pour cette construction, et comme il est absolument improbable que de la main d’œuvre étrangère y ait été occupée sauf quelques hommes d’art, on peut raisonnablement conclure que les habitants y étaient assez nombreux à cette époque.

          Les archives tant de la Mairie que de la Paroisse ont été détruites lors de l’incendie de 1944. Je sais que celles de la Mairie nous auraient été de bien mince utilité, mais celles de la Paroisse nous en auraient dit plus long.

          En somme, pour en savoir davantage, il faudrait chercher en dehors de Mollières, ce que l’auteur de ces mémoires n’a pas eu le moyen de faire.