Histoire de Mollières : introduction
Entrons peut-être dans cette histoire de Mollières par son dénouement majeur qui en résume d'une manière tragique toute la complexité, voire l'absurdité, et qui frappe les yeux de tout visiteur découvrant Mollières pour la première fois : sa destruction à la fin de la dernière guerre.
Le village de Mollières a été totalement incendié en 1944 par l’armée allemande, après la chute de Mussolini, et dans les derniers sursauts avant la débâcle finale : les Américains venaient de débarquer en Provence le 15 août.
D'un côté donc, les troupes allemandes avaient totalement pris la relève des Italiens sur la ligne de fortification des crêtes, et de l'autre, les troupes françaises appuyées par les Américains avançaient inexorablement vers les Alpes italiennes. Ajoutons que la Résistance française qui s'était progressivement implantée dans les vallées, avait remonté très haut vers la frontière dans ces dernières semaines. Les Allemands pensèrent-ils que le vallon de Mollières était appelé à devenir le théâtre d'affrontements décisifs et qu'il fallait le vider de sa population et de neutraliser complètement son espace en l'incendiant ? En tous cas, les combats se limitèrent à peu de chose puisque les troupes de l’Axe, à l’agonie, ne purent quasiment pas résister et se replièrent vite. L’incendie du village n' eut, finalement, aucune utilité militaire réelle.
On a pu évoquer parfois une autre hypothèse, ou plutôt une variante : cette année-là, un groupe de Résistants italiens (des "Partisans") s'était établi dans les vacheries de Chastillon, aujourd’hui Isola 2000. A la suite du débarquement de Provence, les Allemands se repliant vers le Nord et vers l’Italie, ils arrivent sur les lignes fortifiées de Mollières, et débusquent les patriotes dans le vallon de Chastillon. Peu de temps auparavant, quelques Partisans étaient venus régulièrement à Mollières pour cuire leur pain au four du village, et au moment de fuir devant les Allemands, y avaient “réquisitionné” quelques mules notamment, pour accompagner leur départ. Sur ces bases, nous pourrions sans doute nous interroger sur les vraies raisons de l’incendie du village : quelle est la part de stratégie (de terre brûlée, pour libérer de toute population civile un champ d'hostilités, et éviter peut-être aussi que des patriotes puissent se cacher au village) ou de représailles (d’une prétendue complicité des habitants avec les patriotes) ?
Le village a donc été anéanti par les flammes quasiment en une journée : le 7 septembre 1944.(Du reste, les incendiaires sont revenus quelques jours après pour achever la destruction de deux ou trois bâtiments qui avaient résisté aux flammes...). Il faut préciser que le village en lui-même n'a pas été le seul détruit, mais que les incendiaires n'ont pas négligé non plus les hameaux de Mollières : Tourté, le plus proche, L'Educh, un peu en aval, et plus bas encore, la Liouma et Spras, toutes constructions confondues, maisons ou simples granges (susceptibles d'abriter des personnes).
Le récit détaillé de cet épisode se trouve dans la sous-rubrique La guerre et la destruction.
Les Molliérois se sont d’abord réfugiés dans des villages des environs, côté français : Saint-Sauveur-sur-Tinée, Isola, Roubion, Roure,etc où ils trouvèrent un accueil et une solidarité d'urgence qu'il faut rappeler ici. Un certain nombre de familles revinrent au village détruit en s'abritant notamment dans la caserne des carabiniers, à peu près en état, et y demeurèrent une saison pour la plupart. Mais, finalement, hormis deux ou trois familles qui y restèrent encore plusieurs années, l'ensemble des Molliérois alla s'installer définitivement loin de son berceau, en plaine, principalement dans la région de Grasse et de Vence, où de nombreux Molliérois de l’exode alpin étaient déjà installés en nombre.
L'essentiel des textes relatifs à l'Histoire de Mollières mais aussi certains textes ayant trait à la vie quotidienne autrefois sont retranscrits d’un cahier rédigé par Célestin GIUGE, un Molliérois de souche né en 1900 et décédé en 1980. Son attachement au village de ses racines et son goût de l'Histoire l'ont conduit, dans son grand âge, à travailler à en fixer quelques traces.
Pour présenter le rédacteur de cette Histoire de Mollières et lui rendre un juste hommage, on peut dire que Célestin GIUGE était un esprit éclairé et un homme de culture, personnage rare à cette époque dans un village de montagne. Ayant très jeune montré des aptitudes certaines à l’étude, son père François Giuge, homme à l’évidence d’esprit très ouvert lui-même, l’envoya étudier au Lycée de Cuneo lorsqu’il eut achevé sa scolarité élémentaire vers 13 ans, comme c’était l’habitude. Sans doute le curé d’alors, qui avait en charge l’école, avait-il signalé au père les aptitudes, le goût et la possibilité d’un avenir plus brillant et plus facile pour le jeune garçon. Au Lycée de Cuneo, le jeune Célestin se passionna surtout pour la grande littérature italienne, mais aussi l’Antiquité romaine, l’histoire et la langue latines, et, bien des années après, il montrait toujours un immense enthousiasme à évoquer ces matières auprès de ses petits-enfants. Il semblait se destiner à la carrière d’instituteur, si la mort de son père en 1916 ne l’avait brutalement rappelé parmi les siens et aux dures réalités de la survie quotidienne en haute montagne.
C’en était donc fini des études et d’une existence hors des travaux des champs, mais Célestin Giuge conserva toute sa vie le bénéfice et le goût de la culture et du savoir. Les moyens étaient limités à Mollières à cette époque, les livres rares, mais il avait pu en conserver quelques-uns de son court passage au Lycée, ainsi que quelques dictionnaires, italien et latin, et il ne cessa de lire et de relire ces rares livres au point de s’en imprégner profondément, parmi lesquels La Divine comédie de Dante et Les Fiancés de Carlo Manzoni, deux monuments de la littérature italienne.
Célestin Giuge, en homme instruit et curieux qu’il était, était passionné par la réflexion politique, et se plaisait à en discuter longuement avec quelques proches, comme son grand ami Barnabé Giuge. Il aimait regarder avec moquerie les événements et les agissements des politiques. C’était aussi l’homme d’écriture du village. C’est à ce titre qu’il exerça en particulier la fonction de Secrétaire de mairie pour Mollières sur la longue période de 1924 à 1947. Il eut même l’occasion d’exercer quelque temps son métier désiré d’instituteur en tant que précepteur des enfants du hameau de Spras, en aval du Village.
Par ce texte, composé dans les dernières années de sa vie, Célestin Giuge a voulu laisser une trace de l’histoire de ce village tiraillé entre France et Piémont, mais aussi de certains aspects de la vie dure et brillante de toutes ces générations de montagnards qui se sont succédés dans cette superbe vallée, une vie aujourd’hui disparue. C’est un texte qui, par la rigueur de la méthode et des informations, constitue un véritable document d’histoire. C’est aussi un authentique témoignage d’amour pour cette terre qui l’a nourri et qui n’a jamais quitté son cœur. Rendons hommage à son auteur.
Le village de Mollières a été totalement incendié en 1944 par l’armée allemande, après la chute de Mussolini, et dans les derniers sursauts avant la débâcle finale : les Américains venaient de débarquer en Provence le 15 août.
D'un côté donc, les troupes allemandes avaient totalement pris la relève des Italiens sur la ligne de fortification des crêtes, et de l'autre, les troupes françaises appuyées par les Américains avançaient inexorablement vers les Alpes italiennes. Ajoutons que la Résistance française qui s'était progressivement implantée dans les vallées, avait remonté très haut vers la frontière dans ces dernières semaines. Les Allemands pensèrent-ils que le vallon de Mollières était appelé à devenir le théâtre d'affrontements décisifs et qu'il fallait le vider de sa population et de neutraliser complètement son espace en l'incendiant ? En tous cas, les combats se limitèrent à peu de chose puisque les troupes de l’Axe, à l’agonie, ne purent quasiment pas résister et se replièrent vite. L’incendie du village n' eut, finalement, aucune utilité militaire réelle.
On a pu évoquer parfois une autre hypothèse, ou plutôt une variante : cette année-là, un groupe de Résistants italiens (des "Partisans") s'était établi dans les vacheries de Chastillon, aujourd’hui Isola 2000. A la suite du débarquement de Provence, les Allemands se repliant vers le Nord et vers l’Italie, ils arrivent sur les lignes fortifiées de Mollières, et débusquent les patriotes dans le vallon de Chastillon. Peu de temps auparavant, quelques Partisans étaient venus régulièrement à Mollières pour cuire leur pain au four du village, et au moment de fuir devant les Allemands, y avaient “réquisitionné” quelques mules notamment, pour accompagner leur départ. Sur ces bases, nous pourrions sans doute nous interroger sur les vraies raisons de l’incendie du village : quelle est la part de stratégie (de terre brûlée, pour libérer de toute population civile un champ d'hostilités, et éviter peut-être aussi que des patriotes puissent se cacher au village) ou de représailles (d’une prétendue complicité des habitants avec les patriotes) ?
Le village a donc été anéanti par les flammes quasiment en une journée : le 7 septembre 1944.(Du reste, les incendiaires sont revenus quelques jours après pour achever la destruction de deux ou trois bâtiments qui avaient résisté aux flammes...). Il faut préciser que le village en lui-même n'a pas été le seul détruit, mais que les incendiaires n'ont pas négligé non plus les hameaux de Mollières : Tourté, le plus proche, L'Educh, un peu en aval, et plus bas encore, la Liouma et Spras, toutes constructions confondues, maisons ou simples granges (susceptibles d'abriter des personnes).
Le récit détaillé de cet épisode se trouve dans la sous-rubrique La guerre et la destruction.
Les Molliérois se sont d’abord réfugiés dans des villages des environs, côté français : Saint-Sauveur-sur-Tinée, Isola, Roubion, Roure,etc où ils trouvèrent un accueil et une solidarité d'urgence qu'il faut rappeler ici. Un certain nombre de familles revinrent au village détruit en s'abritant notamment dans la caserne des carabiniers, à peu près en état, et y demeurèrent une saison pour la plupart. Mais, finalement, hormis deux ou trois familles qui y restèrent encore plusieurs années, l'ensemble des Molliérois alla s'installer définitivement loin de son berceau, en plaine, principalement dans la région de Grasse et de Vence, où de nombreux Molliérois de l’exode alpin étaient déjà installés en nombre.
L'essentiel des textes relatifs à l'Histoire de Mollières mais aussi certains textes ayant trait à la vie quotidienne autrefois sont retranscrits d’un cahier rédigé par Célestin GIUGE, un Molliérois de souche né en 1900 et décédé en 1980. Son attachement au village de ses racines et son goût de l'Histoire l'ont conduit, dans son grand âge, à travailler à en fixer quelques traces.
Pour présenter le rédacteur de cette Histoire de Mollières et lui rendre un juste hommage, on peut dire que Célestin GIUGE était un esprit éclairé et un homme de culture, personnage rare à cette époque dans un village de montagne. Ayant très jeune montré des aptitudes certaines à l’étude, son père François Giuge, homme à l’évidence d’esprit très ouvert lui-même, l’envoya étudier au Lycée de Cuneo lorsqu’il eut achevé sa scolarité élémentaire vers 13 ans, comme c’était l’habitude. Sans doute le curé d’alors, qui avait en charge l’école, avait-il signalé au père les aptitudes, le goût et la possibilité d’un avenir plus brillant et plus facile pour le jeune garçon. Au Lycée de Cuneo, le jeune Célestin se passionna surtout pour la grande littérature italienne, mais aussi l’Antiquité romaine, l’histoire et la langue latines, et, bien des années après, il montrait toujours un immense enthousiasme à évoquer ces matières auprès de ses petits-enfants. Il semblait se destiner à la carrière d’instituteur, si la mort de son père en 1916 ne l’avait brutalement rappelé parmi les siens et aux dures réalités de la survie quotidienne en haute montagne.
C’en était donc fini des études et d’une existence hors des travaux des champs, mais Célestin Giuge conserva toute sa vie le bénéfice et le goût de la culture et du savoir. Les moyens étaient limités à Mollières à cette époque, les livres rares, mais il avait pu en conserver quelques-uns de son court passage au Lycée, ainsi que quelques dictionnaires, italien et latin, et il ne cessa de lire et de relire ces rares livres au point de s’en imprégner profondément, parmi lesquels La Divine comédie de Dante et Les Fiancés de Carlo Manzoni, deux monuments de la littérature italienne.
Célestin Giuge, en homme instruit et curieux qu’il était, était passionné par la réflexion politique, et se plaisait à en discuter longuement avec quelques proches, comme son grand ami Barnabé Giuge. Il aimait regarder avec moquerie les événements et les agissements des politiques. C’était aussi l’homme d’écriture du village. C’est à ce titre qu’il exerça en particulier la fonction de Secrétaire de mairie pour Mollières sur la longue période de 1924 à 1947. Il eut même l’occasion d’exercer quelque temps son métier désiré d’instituteur en tant que précepteur des enfants du hameau de Spras, en aval du Village.
Par ce texte, composé dans les dernières années de sa vie, Célestin Giuge a voulu laisser une trace de l’histoire de ce village tiraillé entre France et Piémont, mais aussi de certains aspects de la vie dure et brillante de toutes ces générations de montagnards qui se sont succédés dans cette superbe vallée, une vie aujourd’hui disparue. C’est un texte qui, par la rigueur de la méthode et des informations, constitue un véritable document d’histoire. C’est aussi un authentique témoignage d’amour pour cette terre qui l’a nourri et qui n’a jamais quitté son cœur. Rendons hommage à son auteur.