La vie autrefois : l'agriculture

          On cultivait principalement le seigle et la pomme de terre et secondairement le sarrazin, l’orge, les lentilles, les petits pois, les choux, les raves et très peu de blé. Tous ces produits, en cette époque d’autarcie, particulièrement en pays de montagne, étaient destinés à la consommation familiale, sauf pour la patate dont la culture donnait de très bons résultats. Le surplus de cette récolte était vendu à Saint-Sauveur où on la transportait à dos de mulet. Avec les petits pois triturés au moulin, on faisait une purée, paraît-il, très appétissante. On faisait parfois la polenta avec la farine de sarrazin, mais cette farine était surtout destinée à l’engraissement du cochon.

          A proximité immédiate du village, en contrebas, chaque famille possédait un petit jardin, c’était le potager. Ces petits bouts de terrain étaient arrosés par un canal qui, à partir de la prise d’eau du moulin, traversait ( et traverse toujours) en souterrain la placette et le sous-sol d’une maison construite postérieurement. C’est à ce potager que la ménagère allait chercher pour les besoin du repas, oignons, ail, salade, blette, carottes, radis, haricots verts. Les haricots n’arrivaient pas à maturation à cette altitude : ainsi, pour faire la semence, on en cultivait à la Liouma où presque tous les Molliérois possédaient quelques parcelles.

          L’outillage agricole était très rudimentaire, et cela n’était pas un cas particulier pour Mollières. L’outil le plus important était l’araire que l’on faisait traîner par un couple de mulets ou d’ânes. Et comme chaque particulier n’avait qu’un seul âne ou mulet, il était de règle de se prêter mutuellement la bête. Quelques pioches, magau ( à deux dents), bêches de formes et dimensions diverses, faux et serpettes, fourches constituaient tout l’outillage. Le battage du blé et autres céréales se faisait à la main à l’aide d’un fléau. Le nettoyage du grain se faisait en utilisant le courant d’air. C’est seulement vers le début du XXè siècle qu’on a introduit l’usage de cette machine très simple à manivelle que nous appelons "lou ventaïre" .

          De tous temps les Molliérois ont tiré du bétail la plus grande partie de leur revenu. C’est le bétail qui leur procurait l’argent nécessaire pour acheter les objets et produits dont ils avaient besoin et que leur exploitation ne produisait pas.

          On élevait bovins, moutons, chèvres. On vendait les veaux, les moutons mâles et les femelles en surnombre, les chevreaux. Avec le lait des vaches, souvent mélangé à celui des chèvres, on fabriquait le fromage. Le chroniqueur chanoine Bonifery note dans son manuscrit que «à Mollières on fabriquait d’excellents fromages pouvant être comparés au Castelmagne».

          Avant de clore ce chapitre sur agriculture, je veux noter un fait qui m’a toujours intrigué. Des signes d’ancienne culture en altitude sont encore visibles aujourd’hui sur des surface très vastes. On distingue encore par endroit la forme des planches, les talus. Ce seraient ce que nos ancêtre appelaient les issarts, des terrains que l’on semait et récoltait une année sur deux. Un de ces issarts est situé au lieu-dit «Clots» (clot = plateau) vers le vallon Tavels, au dessus de l’actuelle piste qui, de Pont-Ingolf près du Col Salèzes, conduit au col Mercière. L’autre, qui est le plus vaste, se trouve du côté droit du vallon Tavels et l’endroit porte encore aujourd’hui le nom de «Issartas». Le troisième est situé au lieu-dit La Valette. Aucune trace de ruine, grange ou cabanon n’existe dans ces parages.

          On peut raisonnablement se demander :

1°) Quelle espèce de seigle ou autre céréale pouvait encore pousser et mûrir à l’altitude d’environ 2000 mètres ?

2°) En quelle époque ces terres ont elles été cultivées ? Nos grands-pères n’ont jamais entendu dire des leurs d’avoir vu ces terrains en cultures. Cela signifierait que l’existence de Mollières en tant que village habité est plus ancienne que nous croyons et sa population plus importante alors que par exemple aux XVIIIè et XIXè siècles. Parce qu’il est inconcevable que nos ancêtre aient délaissé les terrains plus proches pour aller travailler là-haut.

3°) Un exemple encore plus convainquant de l’ancienneté de ces cultures nous est donné par les terres situées au lieu-dit La Valette. Sur les photos du village, on distingue clairement à l’ouest sur la pente de Mont Saint Salvador ce que nous appelons la roubina de L’Ibagas, constituée de terrain fortement argileux. Or cette roubina n’a pas toujours existé. La preuve en est le fait suivant : lors de travaux de remise en état et précisément en 1937, on a découvert au quartier la Liouma l’ancien lit du torrent avec le sable typique que l’on trouve actuellement en amont du Vallon La Vallette, c’est-à-dire nullement imprégné d’argile. Mais depuis lors, le lit du torrent s’était abaissé d’au moins huit mètres. Cela ne veut pas dire toutefois qu’il soit le dernier lit avant la formation de la roubina argileuse en question.

          L’issart de la Vallette a été coupé en deux par suite du ravinement qui s’est produit en haut par manque d’appui en bas.

          En ce temps là, le lieu-dit la Vallette était relativement proche du village et facilement accessible pour des bêtes à bât, ce qui n’a plus été le cas après l’écoulement du flanc de la montagne qui a formé la roubina dite de l’Ibagas.

Activités apicoles. "L’apier" de Spras.

          Dans le domaine des activités agricoles et d’élevage, il faut mentionner l’activité apicole qui était pratiquée par certaines familles de Spras, un hameau constitué de quatre maisons et de trois granges et situé en aval de Mollières, après la Liouma sur la rive gauche, sur une élévation rocheuse que l’on surnommait à Mollières « lou ventoour » en raison du caractère très venté du lieu. Les familles y portaient généralement le nom de Mario. Il existe un rucher au-dessus du moulin de la Liouma qui appartenait à un ou plusieurs habitants de Spras. Les Molliérois appelaient « Lioumans » indifféremment ceux qui habitaient à la Liouma ou à Spras.

           Le rucher (« l’ apiér ») était un assez grand espace rectangulaire constitué de terrasses, entouré d’un muret de pierres pour protéger les ruches des attaques d’animaux, notamment les sangliers. Ce muret était muni d’une « porte » pour y accéder. Des lauzes étaient disposées sur le sol pour supporter les ruches (« lous bruscs »). Il se peut qu’en des temps plus anciens, les ruches aient été constituées de troncs creux (« charps »), mais les dernières ruches dont on a témoignage à Mollières dans les années 1940 étaient des caissons de bois d’environ 50 cm de côté et d’environ 80 cm de haut. Le grand rucher de la Liouma était de dimensions telles que l’on peut se demander s’il appartenait à une seule famille et représentait une véritable activité apicole de commerce, ou bien s’il s’agissait d’un rucher collectif où les différentes familles avaient leurs propres ruches. Ce rucher constitue un vestige d'une grande importance qui témoigne de la vie quotidienne, de l'agriculture et de l'économie de cette vallée.

           Nous savons néanmoins peu de choses sur ce rucher ancien par les témoignages des Molliérois eux-mêmes car il n’était plus exploité dans les années 1930, une activité apicole se poursuivant néanmoins à Spras même, à proximité des maisons, ainsi qu’à L’Educh où l’on trouvait aussi beaucoup de Mario. Dans les années 1940, les apiculteurs connus étaient, à Spras, Zaverio Mario et Emilio Richier, et à L’Educh Felice Giuge, marié à une Mario de ce hameau. Tous habitaient à Mollières et descendaient à la belle saison dans la vallée pour y exploiter soit les pâturages et les jardins, soit les ruches.

          Il faudrait maintenant dire quelques mots des méthodes alors en pratique pour l’extraction du miel et la conduite du rucher, qui étaient des méthodes ancestrales très répandues . A la différence des méthodes « modernes », à cette époque, on tuait généralement les abeilles (« las béias ») d’un certain nombre de ruches que l’on avait sélectionnées, tout en conservant un cheptel suffisant pour l’année suivante, où laissant faire la nature, les colonies parvenues à saturation au plus fort du printemps, à l’étroit dans leur habitat essaimeraient et s’installeraient en général dans les ruches vides que l’on avait disposées au sein du rucher. Ainsi, selon cette méthode ancestrale, les ruches de l’année étaient laissées pour l’année suivante, alors que celles de l’année antérieure étaient tuées pour récupérer leur miel. Pour les tuer, on les enfumait à l’aide de soufre, puis on récupérait la brèche gorgée de miel (« la bréscha ») que l’on déposait sur une sorte de gorge en bois inclinée et souvent même placée près du feu pendant de longues journées et nuits, le temps que le miel (« lou mèl ») s’écoule dans de grands récipients.

          Il est bien possible que le miel produit ait fait l’objet de vente, certainement à Saint-Sauveur tout proche, car tout surplus de production permettait aux gens d’obtenir quelque argent utile aux achats indispensables, même si une partie de la récolte devait être consommée par les familles, tant il est vrai que tout supplément alimentaire était le bienvenu dans une vie souvent frugale où les douceurs étaient plutôt rares !